Je veux vous parler ici d’un outil d’écologie relationnelle issu de la Communication non-violente (CNV) que je trouve extrêmement pertinent et utile : l’entonnoir de la disponibilité. Cet outil de vigilance permet de ne pas faire supporter aux autres ses ras-le-bol, ses sautes d’humeur et ses frustrations, autrement dit de ne pas polluer son environnement avec une toxicité émotionnelle non régulée. C’est aussi un outil d’hygiène personnel qui permet d’éviter d’atteindre des extrémités comme la dépression, le burn out… en anticipant sur l’impact émotionnel des aléas de la vie.

 

Il ne s’agit pas ici de savoir pourquoi nous sommes à certains moments submergés par des émotions difficiles et avons du mal à le vivre mais de savoir comment prendre soin de son “espace intérieur” , c’est à dire l’espace dont on dispose à l’intérieur de soi pour s’accueillir soi-même, accueillir l’autre et/ou accueillir l’environnement extérieur. C’est ce qu’on appelle aussi la “disponibilité”.

Quand cet espace n’existe pas ou est insuffisant , il est impossible d’être bienveillant envers soi-même, d’accueillir la différence de l’autre et de s’adapter aux aléas du monde dans lequel nous vivons.

C’est la porte ouverte à la rumination, à l’intolérance et à l’agressivité.

Que veut dire “accueillir” ?

Il ne s’agit pas seulement d’accepter, encore moins de se résigner ou de subir. Il s’agit de s’ouvrir aux possibles avec bienveillance et sérénité, de souhaiter la bienvenue avec sincérité et joie. Cela suppose une absence de jugement, d’une part, du calme intérieur, d’autre part. Cela suppose aussi de la curiosité.

Etre capable d’empathie

Quand on est disponible, calme et serein à l’intérieur de soi, on est potentiellement capable d’empathie, envers soi, envers les autres et envers le monde. En CNV, on dit qu’un dialogue entre deux personnes, c’est comme si on plaçait deux verres face à face. Si les deux verres sont pleins, on assiste à un dialogue de sourds, chacun voulant imposer sa vision à l’autre. Pour qu’un vrai dialogue soit possible, il faut que les verres se vident au moins un peu. Etre disponible pour l’autre, c’est avoir de l’espace en soi, autrement dit avoir son verre vide ou peu plein, autrement dit encore ne pas être préoccupé ou mal dans sa peau.

L’empathie, c’est écouter et comprendre sans chercher à transformer. C’est la capacité à se mettre à la place de l’autre, à comprendre son émotion et la raison de son émotion, sans se confondre avec l’autre, sans penser à sa place et sans chercher à l’amener ailleurs que là où il veut aller lui-même.

Empathie versus manipulation ou tentative de prise de pouvoir

Prétendre donner de l’empathie à l’autre, alors qu’on n’est pas soi-même véritablement disponible pour l’écouter sans juger, peut conduire à la manipulation : au lieu d’aider l’autre, nous lui demandons en fait à lui de nous aider à aller mieux en nous prouvant que nous sommes utiles. Nous nous servons de cette aide, que nous croyons donner alors que nous ne sommes pas en état de le faire, pour nourrir nos propres besoins (d’exister, de recevoir de l’attention…). Et nous “rackettons” l’autre, nous lui extorquons ce dont nous avons besoin pour nous-même, à ses dépens. Au pire même, nous nous servons de cette prétendue aide pour exercer un pouvoir sur l’autre, en exigeant notamment de la reconnaissance ou de la soumission. Et c’est la porte ouverte aux jeux psychologiques.

Par ailleurs, en voulant aider alors que nous n’en sommes pas capables, sans en avoir vraiment les moyens, nous nous prenons pour Superman et nous nous épuisons. Un article intéressant sur ce sujet : Le syndrôme du sauveur

Un des vidéos de la chaine YouTube Et tout le monde s’en fout consacrée au fonctionnement du pouvoir : Le pouvoir

Il faut avoir à l’esprit que la véritable empathie n’exige aucune contrepartie et est nécessairement bienveillante. De plus, si elle demande une certaine énergie, elle nourrit aussi.

Empathie et disponibilité

Etre empathique et disponible, ce n’est donc pas simple et il n’est guère possible d’être dans cet état d’esprit à longueur de journée, sauf à être considérablement avancé sur le chemin de l’éveil, comme les lamas tibétains par exemple. Et on ne peut donc exiger de personne, qu’il soit soignant, parent, coach ou manager, qu’il soit empathique tout le temps. Car, pour être capable de cet accueil, il est absolument nécessaire de ne pas être submergé de fatigue et d’émotions négatives soi-même. Autrement dit, il ne faut pas être en état de stress ou de contrariété.

L’entonnoir de la disponibilité, donc…

La CNV propose de nombreux outils pour mieux communiquer, mais aussi mieux se connaitre, mieux gérer ses émotions, mieux écouter et mieux gérer les relations à soi, aux autres et au monde en général. L’entonnoir de la disponibilité en est un particulièrement utile pour apprendre peu à peu à accueillir ses émotions et à en tenir compte dans la vie quotidienne.

Etape 1 (en haut de l’entonnoir) : mon niveau de stress est très faible, je me sens bien et en harmonie avec mon environnement Je peux écouter, prendre en compte la demande de l’autre, être présent à la relation. —Je suis capable d’empathie.

—Etape 2 : je suis un peu stressé(e), légèrement contrarié(e). Je ne suis pas pleinement disponible mais je peux exprimer ce que je ressens, à moi-même ou aux autres. —Je suis capable d’honnêteté.

—Etape 3 : mon niveau de stress devient important, je suis très contrarié(e). Je ne suis pas disponible du tout à l’autre, j’écoute ce qui se passe en moi sans pouvoir l’exprimer. —Je suis capable d’auto-empathie.

—Etape 4 : mon niveau de stress, de contrariété, devient difficilement supportable. Je n’arrive même pas à écouter ce qui se passe en moi. Je demande de l’aide à une personne bienveillante en qui j’ai confiance, pour faire le point. —Je suis capable de demander de l’empathie.

—Etape 5 : mon niveau de stress, de contrariété, est insupportable et ingérable. Je suis submergé(e) par mon émotion, je n’arrive plus à traiter le problème, ni à l’exprimer. Je choisis de rompre momentanément l’échange avec l’autre et/ou l’environnement extérieur. Je dis STOP ! et j’interromps la relation.

Pour éviter de descendre dans l’entonnoir

Pour utiliser l’outil efficacement, il est bien sûr indispensable de savoir identifier au moment même le niveau de son stress / de sa contrariété ou de sa frustration. D’où la nécessité de s’entrainer tous les jours en se posant la question de son état intérieur à n’importe quel moment, d’une part, en apprenant à mettre des mots sur ses émotions, d’autre part. Un livre utile pour cet entrainement : Petit cahier d’intelligence émotionnelle.

En identifiant son état émotionnel, on se donne la possibilité de mettre en oeuvre l’action adaptée selon l’étape à laquelle on se trouve. Si on ne met pas en oeuvre cette possibilité, on descend inéluctablement dans l’entonnoir car toute émotion non accueillie ne fait que s’amplifier et finit par exploser ou imploser. Jusqu’au point de non retour, au-delà duquel nous attendent dépression, burn out, violence incontrôlée et autres catastrophes pour soi et les autres.

Pour éviter de descendre dans l’entonnoir, une autre possibilité est d’essayer de se maintenir le plus possible en état de non stress. Pour cela, il est indispensable de disposer d’une bonne réserve d’énergie émotionnelle positive. La seule façon d’y parvenir est d’apprendre à identifier et nourrir ses besoins. Cette question fera l’objet d’un futur article.